Film dramatique français réalisé par Leos Carax, sortit en 2012. 2 heures.
Le crépuscule. Des bruits. Des mouvances. Des ombres toutes d'épures léchant les murs de brique. Des tombes alignés, des inscriptions étranges. Une silhouette, courant sur les pavés, les pavés de Paris. Pieds nus. Tête de monstre, où se lie à la fois, obscurité et lumière. La laideur du visage et la beauté, la beauté du geste. Sa liberté. Ses mouvements irréguliers, ses galipettes de clown, ses yeux bizarres, son goût pour les billets et les doigts des mondains. On vous présente Merde, mÔsieur Merde, pour être poli. Il est l'homme que l'on croit à tout pris de pas vouloir être, ou ne pas croiser, un jour, en allant voir Mamie, sortant d'un égout glauque. Il est un trait de peinture verte sur une toile vierge que l'on ne voudrait pas salir. Il est l'être qui se permet de se dévoiler nu à Eva Mendes, l'engin dressé, de se coucher sur elle, de se faire bercer. Il est le gosse hérétique des films d'horreur ricains. Il est la créature grotesque d'un Fellini mineur. Il est un mur de chair ou Carax recrache, ses fantasmes délirants, ses fantasmes de pécheur. Il est un geste d'artiste, libre, inépuisable, inssaisisable. Il est le troisième des neuf que nous découvrirons, au long du film, au long de la Seine, des couloirs de souvenirs dans la Samaritaine. Il est le spectre de nos cauchemars angoissants, le squelette de nos rêves absurdes. Ces rêves qui nous habitent, nous possèdent, nous émerveillent, nous angoissent et s'en vont. On a dit de Carax qu'il était égoïste. Mais comment un égoïste serait-il capable d'offir au public tant de nos rêves perdus et oubliés comme il le fait ici ? Et comment un égoïste ferait-il l'effort de les sublimer encore, à la fin de chaque scène, de chaque plan, alors qu'ils sont déjà bien beaux ? Il n'y a que Carax pour les choper en plein vol, ces rêves, ces papillons éphèmères mourant au matin. Carax, ici, nous sert sans rien attendre en retour, l'air modeste, lunaire, attaché à la vie, sans la comprendre. La vie. Celle que l'on joue, tel des acteurs de chaque jour, et celle que l'on quitte, comme les commédiens des personnages, quand l'écran devient noir. La vie. Celle qui porte en son sein des fous, des banquiers, des mendiants, des singes, des voitures, des pensées, des mots, des phrases, des pleurs, des lueurs, des yeux. Ceux d'où semble sortir la beauté, comme le dit dans une scène, un homme tâché de vin autour de l'oeil. La vie. Celle qui avec les années, s'affaiblit et s'effondre, près d'une lampe de chevet, dans une flaque de regrets. Holy Motors est donc un film sur la vie. Il ne raconte que ça. Jamais nous la montrer, mais nous la faire ressentir, telle est la devise de Carax, à travers des tableaux tous différents, des rendez vous avec les autres, que chacun peut comprendre. C'est un film qui se nourrit de notre monde. C'est un film crépusculaire qui renaît constemment de ces cendres. Qui se gorge de lui-même, se gorge de lumière, et tout ça pour le public, à qui Carax pardonne tout, même l'impardonnable. S'endormir devant un film, par exemple, le sien ou un autre, qu'importe...Et il pardonne surtout à ce qu'on fit du cinéma : d'un miroir de loge d'artiste reflétant l'existence, à une machine invisible se broyant elle-même ; sans oublier de se redonner espoir, de nous redonner espoir : le cinéma est fatigué, oui, mais il existe, et peut encore faire vibrer : suffit d'une rencontre, d'une musique, d'une courte chanson d'amour, entre deux anciens acteurs mélancoliques, errant dans un Paris rêvé. Voila ce que nous dit Holy Motors. Voila à quel point il est nécessaire à ce monde du septème art qu'il ne faut surtout pas perdre, lui-même nécessaire à notre vie. Un chef-d'oeuvre, oui, c'est cela, Holy Motors : un chef-d'oeuvre. Un chef-d'oeuvre intemporel et solitaire qui hantera nos rêves et nos yeux pleins d'étoiles pour encore longtemps. C'est le plus beau film de l'année. C'est l'un des plus beaux films du monde. Et c'est ce film qui nous servira à expliquer le cinéma aux enfants nés après sa mort. Ce film là. Pas un autre.
Mise en scène : 5/5
Travail artistique : 5/5
Interprétation : 5/5
Scénario : 5/5
Total : 20/20
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