2012 aura été une bonne année ciné, qui aura notamment vu ce blog poursuivre une longue hibernation, interrompu ici, à l'heure de la proclamation des "tops" ciné de l'année - comme ils le
sont appelés fort vulgairement.
Las, ce blog à longuement ronflé, serré très fort son coussin, salit les draps du lit, il faut maintenant qu'il se réveille et se bouge un peu le cul. Il est tard pour 2012, 2013 sera
donc l'année de la reprise pour le génial rédacteur de ce blog - moi ! - qui n'en a, disons la vérité, pas branlé une.
Au programme, de la nouvelle vague, du cinéma asiatique, du cinéma expérimental, des cinéastes réputés, des films récents, des moins récents, des pas du tout récents, des vieilles bobines
pleines de poussière, des daubes, des pépites, du cinéma, quoi !
Comptez ça comme mes bonnes résolutions de l'année 2013.
Le règne du vide à duré beaucoup trop longtemps ici, à tel point que la pub y a même construit un petit nid.
Alors, fort de ce message aussi bouleversant que le discours de Chaplin à la fin du Dictateur - ouh qu'il est intelligent Ptit ciné, il parle de Chaplin, oh là là, quel grand homme, quel
culture ! - je proclame officiellement la renaissance de ce blog !
Que dieu vous bénisse, vous et les petits chatons de ma voisine. Amen.
Et bonnes fêtes !
TOP 10 2012 :
1. Holy Motors, de Leos Carax
Carax revient donc, cette année, avec Holy Motors, son plus beau film, le plus beau film de l'année, l'un des plus beaux films du monde. Il y filme Paris. Il y filme la vie. Il y filme ses
souvenirs, ses douleurs, le feu qui brûle en lui, sa colère, son désespoir, sa joie, sa folie, son ironie. Il y filme toutes les œuvres qu'il n'a pu faire, toutes ces œuvres rêvées, disparues au
réveil. Il y filme Eva Mendes coiffée d'une burka. Il y filme un pénis en érection, un satyre sortant des égouts, des limousines qui conversent, une chanson d'amour à la Samaritaine, une
contorsionniste qui baise, un vieillard mourant, une vieille dame qui mendie, des singes, un masque vert, des lueurs, des ombres, des silhouettes et le cinéma tout entier. On pourrait écrire de
longues pages sur cet Holy Motors, qui hantera nos rêves et nos yeux pleins d'étoiles pour encore longtemps : il y a tant de choses à dire ! On pourrait en analyser les moindres recoins, en
retrouver chaque référence... Et si on se contentait d'un silence ? Du souvenir de cette scène, la plus belle de l'année, où les amants se retrouvent, s'effleurent et se quittent dans une chanson
éphémère ? De cette liberté que scande, crie, hurle le film ? De cette poésie qui effleure chaque plan, pour que le suivant soit encore plus beau ? De cette grâce qui l'habite à tout moment ? De
ces pics de lyrisme qui lézardent son squelette ? Glissement étrange vers le monde du rêve et du cinéma, Holy Motors va, intemporel et solitaire, court, ralentit, accélère, nous tend constamment
la main, incite au voyage à tout instant. Dedans, les hommes meurent et revivent, le cinéma s’éteint et renaît, laisse l'impression que tout s'y passe, que tout s'y dit : cela s'appelle un
chef-d’œuvre.
2. Twixt, de Francis Ford Coppola
Il est définitivement très beau de voir Monsieur Francis Ford Coppola, 73 ans, derrière lui la trilogie sans doute la plus emblématique que le cinéma a fait et une pléiade d'autres monuments,
faire ce si grand petit film ci, revenir à ses premiers amours perdus le temps d'un film drôle et étrange, qui ne se prend jamais au sérieux, sur ce qui s'est envolé à jamais. Coppola le peut, et
le fait : sans soussous ou presque, il fait de son Twixt ce qui s'appelle une merveille, et s'autorise tout : grotesque, ridicule, premier, second, sixième degrés, décrochages, ruptures de style,
de ton, couleurs vives qui explosent, changement d'univers en une dizaine de secondes, d'intrigues et de propos. Twixt ne pourrait être que le délire d'un vieux gâteux à qui le plaisir manque, si
la plus belle des questions d'un artiste ne venait s'y poser la, tout près : cette question de la beauté tragique, de la tragédie de la beauté, de ces rêves inquiétants qui scrutent tapis dans
l'ombre la silhouette des artistes que la réalité bloque, cette question si belle et si étrangement posée, cette question qui n'a pas finit et ne finira jamais de se poursuivre, de films en
films, d'esprits en esprits, de poètes en poètes, de fantômes en fantômes. Twixt, œuvre imparfaite, celle d'un père en deuil doublé de l'artiste qui a peur, à tout d'un objet de cinéma qui ne
plaira pas à tout le monde, c'est de là que sort tout sa beauté, son désespoir, son inquiétude polie.
3. Tabou, de Miguel Gomes
Perdu. Tout est perdu. Et pourtant : Aurora l'avait vu en rêve, cette fois ci. Un rêve étrange, qu'elle nous raconte, lunettes de soleil vissées sur les yeux, dans le casino où elle a laissé
partir ses sous, face caméra. Perdu. Tout est perdu. Elle a joué. Elle a perdu. Son argent. Son amour venu d'Afrique. Son paradis. D'abord, on hésite. On ne sait pas. On se pose là,
entre ces trois personnages, on ne sait rien. On ignore tout. Et pourtant, ces voix, on les entend encore. Et ces visages fermés ne disent, en revanche, rien. Et puis, soudain, tout démarre. Il
suffit d'un changement de plan pour suggérer le changement de pays, d'atmosphère, de vie. Un vieil homme raconte, parmi les bruits du blé et des champs africains, ce qui est parti et ne reviendra
jamais. Et les voix, soudain, se taisent. Et les visages, soudain, s'ouvrent. Rires. Pleurs. Corps qui se mouvent. Yeux regardant les nuages qui dessinent, dans le ciel, des animaux contournés au
crayon. Et l'on sait, à cet instant, en pleurant tranquillement, que tout cela ne durera pas. Que le présent qu'on a pu voir, au début, existe
pour de vrai. Qu'Aurora y sera, bel et bien, perdue, sénile, fatiguée, bientôt morte, séparée de son amant, de son croco, de son pays. Et c'est insoutenable, car on voudrait
qu'ils s'aiment, ces deux là, pour toujours, qu'ils s'embrassent, se touchent, se caressent, s'envolent, fuient, courent, loin, encore, ensemble... Tout dans ce film est une
question de souvenir, de mémoire, d'oubli inconcevable. Car la vie et le cinéma ne sont qu'une suite de souvenirs. Des souvenirs qui fuient, doucement, sans bruit, à travers la
savane d'un paradis perdu, d'un paradis rêvé, comme celui d'Aurora, il y a bien longtemps.
4. L'Odyssée de Pi, de Ang Lee
C'est parce qu'il se pose là, tout près, de nous, des autres, entre la vie et le rêve, le corps et l'esprit, pour nous redire ces choses si belles, ces choses si belles qui viennent de
l'enfance, ces choses si belles que l'on sait déjà, et que l'on aime redécouvrir, avec Pi et ce tigre, seuls au bord de la mort, que L'Odyssé de Pi vient se placer curieusement parmi les
chefs-d'oeuvre inattendu de l'année. Tout ici, de ces reflets magiques qui noient la mer de ciel à ces suricates nombreux errant dans la nature mortelle, ces baleines qui émergent d'un océan de
lumière à ces silhouettes d'animaux qui hurlent au crépuscule, sont là pour ne clamer qu'une chose : Dieu existe, celui du cinéma. Naïf, on nous dira. Sans abandonner les soubassements complexes
et torturés de son œuvre, de la naïveté, Ang Lee s'en réclame. Et s'en sert pour nous dire que oui, le cinéma, ça peut être ça, parfois. Ça vit, ça respire, ça file et ça se meure, dans un
dernier plan sublime d'une jungle qui enfle. Il y a, dans ce tableau du monde tel que le rêve ceux qui croient, quelque chose d'imparfait. Et c'est sans doute ce que lui accorde, définitivement,
sa saveur, sa beauté, sa douleur infinie.
5. Looper, de Rian Johnson
La gosse claque, le film que je n'ai absolument pas vu venir cette l'année : Looper, SF modeste, dépourvue d'esbroufe et d'effet grand-guignolesque, possède quelque chose qui n'appartient
qu'à elle, quelque chose de triste, de poignant, qui touche au coeur. Sa froideur, son style soigné, sophistiqué ; son découpage précis, son montage tendu, le visage désillusionné de chacun des
personnages qui, dans la quête d'un impossible bonheur ou d'une inaccessible satisfaction, effectueront leur ronde funèbre au mépris des catastrophes qu'ils sèmeront sur le route ; dessinent,
ensemble, les rouages trop bien huilés d'une véritable tragédie humaine. Et de voir le temps faire des bonds, former des boucles, tisser des fils interminables qui feront forcément perdre des
êtres et gagner d'autres, procure un bouleversement rare : Looper est un OVNI cinématographique brillant et d'une intense douleur, à reconsidérer d'urgence.
6. Amour , de Michael Haneke
"Amour". C'est sur un fond noir qu'apparait, soudainement, sobrement, en lettres blanches, le titre du film. "Amour", donc, "Amour" sans "A mort", sans second degrés, sans ironie. Car Haneke
a rendu les armes. Lui, le brutal, le sadique, le professeur frustré tappant sur les doigts de ses élèves, faire un film d'amour ? Il le fait, oui. Et si quelques vieux vices subsistent (la vie
se termine et le bonheur se perd), il pointe à la fin du film ce même sentiment qu'enfin, le cinéaste s'incline et reconnait que, malgré la mort qui fait face, il subsiste, quelque part, dans
l'art ou le quotidien, une quelconque beauté, quelque chose de propice au bonheur. Et si tout a une fin, et si elle se passe dans la douleur la plus intense, et si la vie est parfois source de
souffrance, l'amour est là, l'amour existe, l'amour existe et ne s'arrête jamais. Plus surprenant encore, c'est alors qu'Haneke, puisqu'il n'a plus rien a prouver, s'incline, comme jamais, devant
le couple magnifique que forme ses deux acteurs : Trintignant et Riva sont, tout deux, dans cet adieu consenti à la vie, incomparables de retenue, d'intelligence, de sensibilité, de pudeur et
d'amour, tout simplement.
7. Take Shelter, de Jeff Nichols
Mais d'où sort ce film austère et brumeux, où file t-il ainsi ? Il semble pétri des plus intenses douleurs, des plus innommables névroses, sentiments qui se chuchotent ou se taisent, hurlant
au plus profond de l'esprit. La douceur de ses protagonistes n'est pas un leurre, mais cache les errances de l'âme et le reflet de leur perte. L'esprit du film, son étrangeté, sa lenteur
magnifique, me hante encore. J'aime ce que Nichols fait d'une Amérique en proie à ses névroses, ses peurs les plus profondes, ses démons infernaux. J'aime cette empathie que le cinéaste leur
accorde, cette grandeur d'âme que possède chaque être, même le plus perdu des hommes. Le film commence dans un mystère et se finira dans un mystère. Il est long, lent, mais semble aller si vite,
si vite qu'il nous échappe, constamment, pour mieux finir pas nous hanter. Il nous perd, nous retrouve, nous relâche, nous reprend, constamment, à chaque instant.. Cela constitue une
expérience curieuse, imparfaite, parfois agaçante, mais qui prend aux tripes, remue, bouleverse. C'est un film insaisissable qui est avant tout le notre. Curieux paradoxe...
8. Moonrise Kingdom, de Wes Anderson
Poétique et torturé, léger et ludique, coloré et sombre : Moonrise Kingdom est un film qui se situe entre deux mondes, deux réalités, toujours à hauteur d'enfant. Tout y semble charmant, joli
comme une maison de poupée, et puis soudain, tout se révèle : la mélancolie s'affleure, la tristesse gagne, déborde de ces personnages trop seuls que personne ne comprend. Rien ne semble grave,
mais tout se qui s'y joue est l'aventure d'une vie. Alors que les grands, ce flic bêta et solitaire, ce père malheureux, ce chef-scout étrange, ces parents un peu beauf , cherchent désespérément
une brèche pouvant les reconduir jusqu'à l'enfance, les gosses fuient, nagent, volent, font des trucs avec leur langue, souhaitent devenir adultes. C'est un jeu du chat et de la souris inversé
qu'Anderson filme, avec un plaisir total et un soin rare. Cette miniaturisation du monde et de ses aspirations est un vrai bol d'air frais, évidemment empoisonné, mais aussi chatoyant qu'un
paysage d'été.
9. Oslo, 31 Aout , de
Joachim Trier
C'est un film vaporeux, mystérieux, beau et doux sur ce qui s'est envolé à jamais, ces femmes et ces amis disparus, ces erreurs par milliers, ces visages qui manquent, ce train de la vie que
l'on a pas su prendre ; et ces regrets insurmontables que cela engrange et qui nous fissurent l'esprit. On aurait beaucoup de chose à dire sur le film, et pourtant il n'est fait que de courtes
phrases, de silences, de douleurs qui se chuchotent ou se taisent, de silhouettes buttés qui se retiennent constamment. Ca m'a beaucoup touché.
10. Killer Joe, de William Friedkin
D'emblée, Friedkin nous l'annonce : il ne fera pas dans la dentelle. Et sa caméra, il la pose où il veut. Son film transpire le sang, le sexe, le sperme. Avec toujours, cet arrière-gout de
crasse, de poussière, de poulet. Matthew McCounaughey y est monstrueux, Juno Temple splendide de névroses et d'innocence troublée. Ils se donnent, dans cette œuvre cynique et jubilatoire qui fait
un mal monstre et un bien fou, véritablement corps et âmes. Et prouvent bel et bien que, ouais, Papi Friedkin, du haut de ses 77 piges, en a encore sous le pantalon. Mais aussi dans la tête : la
fin imprévisible achève de transformer ce film en une farce absolument...Délicieuse !
Voilà, 2012 c'est finit sur Ptit'ciné le blog !
Et, pour arroser ça...
CHAMPAGNE
!!!