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17 avril 2013 3 17 /04 /avril /2013 12:19

affiche-Sur-la-route-de-Madison-The-Bridges-of-Madison-Coun

Film dramatique américain réalisé par Clint Eastwood et sortit en 1995. 2h10.

Sur la route de Madison--3-

Un pont d'Amérique qui semble départir deux mondes.
Celui de l'homme et celui de la femme.
Il y a d'abord celui de l'homme. Un monde d'aventure, d'ombres et de mystère. Où chaque jour la vie se redécouvre, où la beauté enveloppant les êtres se goûte une nouvelle fois. Un monde où l'on observe les gens anonymes, pour les rencontrer, les effleurer, sans doute les aimer, puis les quitter et en rencontrer d'autre. Un monde instable, qui bouge. Un monde d'Afrique, d'Europe et d'Asie.
Et puis, celui de la femme. Un monde figé. Un monde tranquille. Bercé par la douceur attrayante du paysage de campagne. Une monde "correct", où les potins du voisinage circulent, laborieusement, entre les foyers. Un monde hors du monde, hors des gens. Qui se regarde lui-même, ne se concentre sur rien.

Sur la route de Madison est l'histoire d'un passage. D'une route, d'un ligne, comme une flèche, où ce pont agit comme obstacle, que des êtres désespérés et amoureux rêvent de franchir.
Cette envie de départ, elle n'a jamais quitté Francesca. Lorsqu'elle marche sur ce pont, Eastwood vient fixer son regard. C'est un désir qu'il trouve dans ses yeux. Brûlant, dévastateur. Un désir plus fort que tout, mais volontairement bloqué, tenté d'être oublié : Francesca est mère, épouse, à des obligations. C'est cette contradiction absurde que le film déplore et met en scène, cette question fondamentale : dois-je partir avec lui ? Cette vie de mystères, est-elle faite pour moi ? Aurai-je la force ?

Cela, Eastwood le filme avec une pudeur infinie. Son mélo classique tente une émotion diffuse, continue, perchée dans les regards et les gestes. Manquer ce furtif plan où Meryl Streep redresse le col et s'attarde sur l'épaule de son amant, manquer cette image rapide et fuyante d'une jambe qui effleure l'autre, c'est ne pas pouvoir saisir l'une des nombreuses clés de l'œuvre.
D'abord, le film ne semble rien dire de spécial, l'impression que chacun de ses gestes et dialogues pourraient être dits par n'importe qui, n'importe où, de n'importe quelle façon. C'est un leurre.
Chaque contre-champs sur un des protagonistes est signe d'un avancement dans la progression de leur ressenti quant à la situation posée par le film. Des yeux qui se baissent et qui se mouillent. Un corps courbé sur une chaise, une femme qui par la fenêtre regarde d'un œil étrange son hôte : tout ce qui fonde l'amour, tout ce qui fonde la vie, est là. A voir là, a sentir là. A vivre là.
Il y a d'abord la curiosité, puis le désir qui monte, puis le doute, puis la décéption, et l'amour à nouveau, qui recommence et ne nous quitte plus. La grande idée du film est par ailleurs de délimiter l'histoire sur quatre jours. Un jour pour chaque stade cité, chaque émotion habitée. Quatre jours qui sont tout une vie, qui verront la fuite du temps et l'angoisse de la perte.

Sur la route de Madison est un film d'une douleur et d'une beauté absolue. Vide de tout cynisme, empli d'un respect et d'une tendresse infinie pour ses personnages : jamais Eastwood ne jugera le choix final frustrant, pour elle et pour nous, de Francesca. Jamais son mari ne sera présenté comme le bouc-émissaire, celui auquel il faudra en vouloir : dans une courte et bouleversante scène suivant un bond dans le temps après la fin de la partie initiale du film, son mari, vieux et malade, s'excusera pudiquement de ne pas avoir pu lui faire vivre tous ses rêves. C'est un plan en plongée simple, fixe, quelques seconde de tendresse et de rapprochement désespéré.
Eastwood ne nous dicte rein. Ne juge personne. Il filme, simplement. Pose une courte histoire qui ressemble à la vie.
Son film, l'un des plus beaux films du monde, est, en quelque sorte, une histoire de fantômes. Appartenant à une époque révolue, accordant aux gens d'aujourd'hui - les enfants de Francesca - ; que Eastwood respecte et ne singe jamais, un véritable regard. Interloqué puis compréhensif.
A la fin, les cendres de Francesca seront jeté par-dessus le pont qu'elle n'aura jamais franchit. La caméra, dans un sublime ralenti - le seul du film - suivra leur mouvement de spectre s'inscrivant dans l'éternité.
Il faut alors imaginer Robert et Francesca ensemble, fantômes errant entre deux mondes indécidables, corps invisibles confondus jusqu'à l'infini, sentir le bouleversement que procure cette scène inexistante de deux âmes déliées puis très vite rattachées, qui se seront ratées dans la vie pour mieux se retrouver dans la mort.

 

 

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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 13:15

CSAR-3~1

404508

Analyse de la soirée :

On y a cru, pourtant. Au début. Au tout début. Faut dire que les César, même si on se marre toujours et que c'est rigolo et tendance de taper dessus, s'étaient un peu réveillés les années passées. On somnolait moins. On parlait un peu plus cinéma. On organisait mieux. On faisait moins long. Plus drôle. Plus drôle, c'est aussi ce qu'ils ont voulu faire cette année. Il y avait toujours De Caunes, toujours, que j'aime encore bien malgré tout, pour sa 9ème. Forcément ça fatigue. Et Jamel, que je ne peux franchement pas voir en peinture, mais qui au début, donc, m'a bien fait rire. Tant bien même essuya t-il toutes les vannes biens senties et attendues (Depardieu, Maraval, Hollande, Moi président...), son regard pétillant, limite fourbe, sa silhouette écrasée et bondissante à la fois, les ont splendidement assumées. Cérémonie déclarée brillamment ouverte, qui plus est par cet humoriste que je ne peux d'ordinaire encadrer : génial, me dis-je. Si ça continue comme ça, Holy Motors sera récompensé, Lavant aussi, Scob bien sûr, Audiard n'aura rien, et ça sera mon palmarès à moi qui gagnera. Je devrais apprendre à être moins naïf.


Parce que, disons-le, c'est vite retombé. Vite. Très. De Caunes à déconné. Tout du long. Passée sa traditionnelle incrustation dans les films de l'année, toujours très drôle, moins inspiré que d'habitude (Voir celle, magnifique, de l'édition 2011), les ficelles se sont fait sentir illico. Findus et Jamel ont été son seul support de vannes. Quelques fulgurances avec le tel de Garcia (Si je l'avais noté, merde !) , ou d'autres oubliées. C'était vraiment, vraiment très sage. Quelconque. Académique, avec la prétention de l'irrévérence (la langue d'Aurélie, par exemple, nul).


On baille gentiment. Côté palmarès, qu'une seule surprise : de Tonquédec. Pas vu Le Prénom. Pas plus envie que ça. Chaque chose est à sa place : Le Audiard et le Jacquot sont les seuls de la liste suprême récompensés, pour l'instant. Le premier m'enerve, le second à mes faveurs. Ca va.


Je dors. Pas si gentiment que ça. En plus de l'ennui, ça devient nul. Nul, nul, nul, pédant, chiant, de tous les côtés. Les lauréats relous, les remettants relous, De Caunes relou, Jamel revient à sa nature première. Jamel relou, donc. On attend Amour. Camille toujours rien. Holy Motors poursuit sa nuit. Mais patience, Scob arrive, au galop. C'est sûr. Pas besoin de croiser les doigts : évidence. J'aurais peut-être dû, en fait.


On est face au premier scandale de la soirée. Je suis dévasté. Scob écarté. Pas même Yolande ne vient sauver la mise. J'ai comme une envie de voir Le Prénom, tout d'un coup. On m'a toujours dit que je prenais ça trop au sérieux. On m'a dit "Il aura rien ton film, tu le sais". Non, impossible. Carax, je t'aime, Denis, je t'aime, Caro, je t'aime. Rien pour Caro (photographie). Reste plus que Denis. Et Leos, qui quelque part, a sa télé éteinte, écoute du Manset en se fumant une clope. Recevoir un prix est peut-être la dernière chose qu'il faut lui souhaiter. Il y tient, à son rôle de loser magnifique des soirées académiques. Désolé Carax, sorry Leos. Je suis obligé de te défendre.


Zen. Reste zen. C'est pas grave, me dis-je. Doucement, dans ma tête, je fais l'inventaire de la soirée : 4 pour Pas de jambes et beaucoup de cul, 3 pour Film en costumes, actrices à poil, 0 pour Noémie Recopie, 2 pour Théatre filmé (merci Vodkaster, vous m'avez bien fait rire). Toujours 0 pour le chef-d'oeuvre du lot (et de l'année). L'ovation du public à chaque fois que le nom de Carax est prononcé n'y suffira en rien : pas un seul représentant d'Holy Motors ne se lèvera ce soir. Pas même Lavant, qui est mon nouvel acteur préféré. Je le sais. Le redoute. Amour arrive. Je respire.


Je rage, ça y'est. En pyjama, devant la téloche, je déverse sur cette "grande famille du cinéma français" (madaaaame !) tous les clichés qui l'accompagne. "Cérémonie de merde ! Audiard couche avec tout le monde, ou quoi ?". Je crois que je suis ridicule. On me fait signe que oui. Je ne ris plus. Si, quelques fois. Météores solitaires lancés dans le ciel. Laffite me fait hurler, Lamy tient la route. De Caunes en sort une bonne. Je sais plus laquelle.


L'ambiance, elle, n'est pas là. Morte. Ecrasée. Un esprit de compèt' dégueulasse et un irrespect de plus en plus croissant planent, accrochés au lustre du Chatelet, sur les figures froides et presque mortes qui défilent sur le sol lisse de la scène. Tout semble désincarné. Naphtaliné. Jamel et De Caunes se regardent, s'en foutent, coupent la parole, les lauréats sont toujours autant relous, et Lvovsky toujours rien. Quelque chose ne va pas. Le palmarès est sage, des éclats apparaissent, drôles mais furtifs, puis s'en vont mourir dans la masse de l'ennui. Le cinéma est bien triste, ce soir. L'humour n'est pas drôle. Plus personne ne l'est. Une tension se dessine. C'est horrible.


Mais au loin je vois comme un visage d'enfant. C'est le visage de Denis Lavant qui ne tient pas sur sa chaise, enfant qui découvre le monde, contemplatif et hyperactif à la fois. C'est la seule chance du film. Lorsque sur le magnéto, Monsieur Merde apparaît, je sens un coeur qui palpite. J'oublie les autres. J'entends la voix de Trintgant, râpeuse, grave, éraillée, intérieure. Il mérite son César. Mais Lavant restera toujours Lavant.


Enfin un beau moment. Un moment de silence, un suspens qui ne tient qu'à une sonnerie de téléphone. JLT (pour les intimes) au bout du fil, c'est comme une voix de fantôme qui s'élève, faisant trembler les murs de sa puissance, de sa dureté, de sa douceur. C'est très beau. Et il est magnifique dans le film.


Ce n'est pas bien sur le seul trophée d'Amour. Riva l'a eu, son ovation, elle la mérite. Petite, discrète, mais grande dans sa robe rouge, perchée sur le coin de la table. Cette femme me touche infiniment. Haneke, autre fantôme de la soirée, remporte enfin quelques Césars. Jamel annonce les nommées pour la catégorie suprême (de façon très drôle, je le reconnais), puis le gagnant. C'est un grand film, si loin du Carax pourtant, mais on ne chipotera pas, on ne chipotera plus. On l'a assez fait.


Conclusion, cette 38ème Cérémonie avait un goût étrange. Etrange et amer. Détestable, au final. Peu propice à la fête, à la vie, donc au cinéma. Les grands gagnants absents ont accordé un silence bizarre à ce rendez-vous prestigieux. Personne n'a osé faire le boulot, pas de convergence, pas de moments de grâce, juste quelques étincelles naissantes puis aussitôt mortes, papillons de prestige empaillé sur la cheminée. Pas de surprises en théorie du côté d'un palmarès nullissime bien dépourvu de cojones. On se souviendra du César d'Honneur au classe et ému Kevin, au speech amusé d'Hazanavicius, de la beauté figé de Riva et de l'absence réparée de Trintignant. Amour a été comme une respiration finale. Ca tombe bien pour un film sur la fin de vie.

 

cesar-2013-173-g

 

Palmarès, pronostics, souhaits :

 

MEILLEUR FILM :

Le gagnant est : Amour

Mon pronostic était : Amour

Mon souhait était : Holy Motors

 

MEILLEUR REALISATEUR :

Le gagnant est : Michael Haneke (Amour)

Mon pronostic était : Michael Haneke (Amour)

Mon souhait était : Leos Carax (Holy Motors)

 

MEILLEUR ACTEUR :

Le gagnant est : Jean-Louis Trintignant (Amour)

Mon pronostic était : Jean-Louis Trintignant (Amour)

Mon souhait était : Denis Lavant (Holy Motors)

 

MEILLEUR ACTRICE :

Le gagnant est : Emmanuelle Riva (Amour)

Mon pronostic était : Emmanuelle Riva (Amour)

Mon souhait était : Emmanuelle Riva (Amour)

 

MEILLEUR SCENARIO ORIGINAL :

Le gagnant est : Amour

Mon pronostic était : Amour

Mon souhait était : Holy Motors

 

MEILLEURE ADAPTATION :

Le gagnant est : De Rouille et d'os

Mon pronostic était : De Rouille et d'os

Mon souhait était : Les Adieux à la Reine

 

MEILLEUR ACTEUR DANS UN SECOND ROLE :

Le gagnant est : Guillaume de Tonquédec (Le Prénom)

Mon pronostic était : Michel Vuillermoz (Camille Redouble)

Mon souhait était : Michel Vuillermoz (Camille Redouble)

 

MEILLEURE ACTRICE DANS UN SECOND ROLE :

Le gagnant est : Valérie Benguigui (Le Prénom)

Mon pronostic était : Edith Scob (Holy Motors)

Mon souhait était : Edith Scob (Holy Motors)

 

MEILLEUR ESPOIR MASCULIN :

Le gagnant est : Matthias Schoenaerts (De Rouille et d'os)

Mon pronostic était : Matthias Schoenaerts (De Rouille et d'os)

Mon souhait était : Matthias Schoenaerts (De Rouille et d'os)

 

MEILLEUR ESPOIR FEMININ :

Le gagnant est : Izia Higelin (Mauvaise Fille)

Mon pronostic était : Izia Higlein (Mauvaise Fille)

Mon souhait était : Julia Faure et India Haire (Camille Redouble)

 

MEILLEUR DOCUMENTAIRE :

Le gagnant est : Les Invisibles

Mon pronostic était : Les Invisibles

Mon souhait était : ?

 

MEILLEUR PREMIER FILM :

Le gagnant est : Louise Wimmer

Mon pronostic était : Louise Wimmer

Mon souhait était : ?

 

MEILLEUR FILM ETRANGER :

Le gagnant est : Argo

Mon pronostic était : Bullhead

Mon souhait était : Oslo 31 Aout

 

MEILLEUR FILM D'ANIMATION :

Le gagnant est : Ernest et Celestine

Mon pronostic était : Ernest et Celestine

Mon souhait était : ?

 

MEILLEUR COUR-METRAGE

Le gagnant est : Le Cri du Homard

Mon pronostic était : ?

Mon souhait était : ?

 

MEILLEUR DECORS :

Le gagnant est : Les Adieux à la Reine

Mon pronostic était : Les Adieux à la Reine

Mon souhait était : Holy Motors

 

MEILLEURS COSTUMES :

Le gagnant est : Les Adieux à la Reine

Mon pronostic était : Les Adieux à la Reine

Mon souhait était : Les Adieux à la Reine

 

MEILLEUR PHOTOGRAPHIE :

Le gagnant est : Les Adieux à la Reine

Mon pronostic était : Holy Motors

Mon souhait était : Holy Motors

 

MEILLEUR MONTAGE :

Le gagnant est : De Rouille et d'os

Mon pronostic était : Amour

Mon souhait était : Holy Motors

 

MEILLEUR SON :

Le gagnant est : Cloclo

Mon pronostic était : De Rouille et d'os

Mon souhait était : De Rouille et d'os

 

MEILLEUR MUSIQUE :

Le gagnant est : De Rouille et d'os

Mon pronostic était : Les Adieux à la Reine

Mon souhait était : Camille Redouble

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19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 10:34

Djangounchainedposter3

Western dramatique américain réalisé par Quentin Tarantino et sortit en 2013. 2h45

Django-Unchained

 

Un paysage ricain inondé de soleil et de corps noirs qui avancent, péniblement. Au milieu des dunes, les pieds menottés marchant sur des graviers brulants. Ils se suivent, las. La musique commence. Le titre s'affiche, en rouge, semblant sortir de leurs yeux : couleur sang, couleur vengeance. Ca ne va pas se passer comme ça. La file de corps fatigués sera vite dispatché, et le son de leur colère résonnera dans le monde entier. L'Histoire n'a qu'a bien se tenir. Il y aura du sang.

Toujours armé de son style singulier, Tarantino avance, depuis son dernier film, sur le douloureux sentier des crimes de l'humanité. Mais il restait, encore, dans Inglorious Basterds, une certaine superficialité des personnages, réduits au rang de pantin avec un cinéaste se regardant un peu filmer. Django Unchained, gommé de l'artificialité de son grand frère, marque ce qui est sans doute le renouveau de la maturité chez son auteur, un nouvel amour clamé à ses personnages, et au cinéma, toujours.

Ainsi Django va, baigné de références pops, de raps tonitruant, déchainé sur l'autel d'une Histoire qui s'est construit sur la douleur, glissant ses sabots marqués de noirs sur les pages jaunies d'une Amérique détestable et vouée à sa perte. On pourra dire de Django qu'il est un film léger. Sa drôlerie permanente, la bouffonnerie apparente des négriers présentés, portent il est vrai à confusion. Mais c'est qu'ils cachent, tous, les fragments d'une mélancolie contemplative et douce : lorsque Tarantino regarde ces paysages magiques et ces silhouettes qui avancent, las, c'est son pays qu'il regarde, qu'il affronte, caméra à la main, prêt à dégainer. L'œuvre est d'une douleur et d'une cocasserie infinie.

Chacun de ses sommets (La fameuse scène des Ku Klux Klan, par exemple, résumant à elle seule le film) relèvent d'une ingéniosité et d'une habilité, d'une finesse assez étonnante de la part d'un cinéaste qu'on croyait depuis quelques temps perdus dans les couloirs des auteurs prisonniers de leur style : lorsque l'on rit, de ces abjects se plaignant de ne rien y voir sous leur cagoule, il faut voir l'absurdité du monde tel qu'il s'est construit, à l'apparence soignée et belle (la mise en scène de Tarantino), juste un vernis lisse, cachant la douleur de ce qui s'y trame (le scénario) : c’est par l’unité entre la forme et le fond que le cinéaste captive. Et pour la première fois aussi, l'idéologie de la vengeance est filmée avec distance, distance encore incomprise.

Car Quentin a grandi. A muri. Il peut désormais nous raconter son histoire, l'histoire d'une Histoire dont les êtres ne supportent plus la trame, qui créée des envies de vengeance et de sang, des visages impassibles qui vont exploser, faire jaillir parce que n’en pouvant plus le liquide pourpre sur les chevaux blancs. Alors, comme toujours, les flingues dorment longtemps, et on cause, on cause, on cause de plus belle. Il y a, bien sûr, encore des scènes qu'il étire, où il dilate le temps, où se permet des instants de poésie suspendue : King Schultz racontant à Django l'histoire de cette princesse prisonnière du dragon, qu'un chevalier viendra sauver, Django captivé, Django qui écoute, le feu se reflétant dans la brillance de ses yeux. Le film est soudain très beau, très profond. Le mur devant lequel Schultz illustre son histoire devient toile, toile de cinéma, où tout peut s'y jouer, où tout peut s'y changer. Et dès lors que la violence (réaliste cette fois ci) explose, elle donne à l'œuvre tout son sens : rien d'infantile là-dedans, dans l'impassibilité de Django qui regarde un frère mourir, déchiqueté par les chiens, seulement le reflet d'un monde qui a créé des monstres de vengeance et d'humanité, les deux à la fois.

Dépourvu de tous manichéisme, toujours entre-deux, drôle dans la tragédie même, bouffon dans ses moments d'émotion, cruel dans son humanité, lucide dans son optimisme fou. Et ce en partie grâce aux acteurs : Samuel L. Jackson, splendide majordome noir avide de pouvoir et de puissance, élève un numéro d'autodérision vers une réflexion sur l'ambiguïté morale des êtres. DiCaprio est splendide de cruauté perverse. Waltz pétillant et vif, d'une intelligence implacable. Et Jamie Foxx, son Django, est plus sobre que finalement effacé, nègre habillé de velours, accoudé au bar, le regard droit, la main sur son flingue. Tarantino le filme, héros de western, douleur dans ses yeux, marques du fouet incrustées sur son dos, chevauchant les paysages à la recherche de son amour perdu. Sa quête est tour à tour hilarante et tragique, habitée d'une émotion pure mais jamais larmoyante, puisque celle de redécouvrir ce qu'on nous a volé, de redécouvrir ce plaisir si exquis d'attendre que les lumières s'éteignent, que les gens devant se taisent, que le bruit du projecteur se dessine dans le silence et que le générique commence, un plaisir d'enfant qui découvre un film adulte, ce film génial et stimulant, ce film, qu'au fond de nous, nous attendions tant. 18/20  

 

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13 janvier 2013 7 13 /01 /janvier /2013 10:47

Film dramatique américain réalisé par Paul Thomas Anderson et sortit en 2013. 2H20

The Master Paul Thomas Anderson48

 

Animal. Comme un chien aux abois, il lève sa tête à demi-caché. Il a les yeux bleus-verts d'un lynx qui cherche sa proie. Son visage, sous un casque de guerre, est divisé en deux. On ne voit que le haut. Sa bouche disparaît sous une ligne floutée. Une plage. Les vagues qui viennent. Des hommes qui dessinent, au moyen du sable, une femme à la poitrine rêvée. Il se jette dessus. Animal. Animal adolescent qui (re)découvre le sexe, qui mime des vas-et-viens sur cette femme de sable, pour faire marrer ses copains, vite dérangés par la sincérité finale de son action. Le cinéaste le filme d'abord en plans fixes, dans le silence de la mer, aligne ces plans, les colle bout à bout et les fait défiler, concisément. Le dos maigre et fatigué, se masturbant face à l'eau. Comme un gros poisson échoué qui semble se débattre, animal. C'est une pause au sein de la guerre, que filme Anderson là, une pause ou peuvent rejaillir toutes les pulsions animales des êtres, pas complétement exteriorisées lors des invisibles instants de combat qu'il ne filmera jamais. The Master n'est pas un film de guerre, ce n'est pas un scoop, mais un film sur ses conséquences, l'Amérique souffrante qu'elle engrangera, qu'il filme sans jamais en citer explicitement les causes. L'homme animal, l'Amérique (beau parallèle), c'est Freddie Quell. Allongé dans les filets d'un bateau, une partie de ses lèvres retroussées : visage divisé, verticalement, une partie qui tient encore, une autre qui se perd. Car tout dans ce film, semble scindé, scié, éparpillé, en mille morceaux. Comme les bribes d'un passé lointain où l'on se rêvait plus grand que l'on est aujourd'hui. Dans chaque plan peut se remarque un axe, horizontal ou vertical, qui semble marquer un trait, une frontière, entre les personnages et leurs idées. Des personnages qui vont pourtant, un jour, se trouver, attirance mutuelle, dans leur constant désespoir. Comme ce gourou charismatique, Lancaster Dodd, maître de tout le monde semblant dépendre de personne, dont l'on apprendra bien vite la soumission à sa propre femme, qui dans une scène troublante, lui demandera en le masturbant "de jouir pour elle" pour lui faire comprendre ce qu'elle veut. Soumission animale qui nous est longtemps resté masqué, d'un manipulateur devenu pantin. Ce même homme, essayiste de renom, rêvant dans ses paroles d'un homme débarassé de son animosité. C'est alors que, sans manichéisme, Anderson pose la question : est-il un arnaqueur hypocrite gagnant sa vie sur le dos des naïfs gens (disons-le, l'hypothèse que nous préférons, nous spectateurs) ou un homme tentant de combattre ses propres démons, un maître pris dans son piège, accrochés à des fils qu'il ne peut diriger ? Le cinéaste se montre beaucoup plus interessé par la deuxième hypothèse (sans donner tort à la première, au contraire), le soulignant en faisant entendre le cri de celui qui aura jouit pour sa femme, un cri résigné et désolé, d'un desespoir grotesque et déchirant. L'un des grands sujet de The Master est donc la domination permanante des êtres, le fait de dépendre forcément d'un maître dans sa vie, de sa vie. La profonde douleur des hommes semble être dans ce film une cause essentiel de cette domination recherchée (Quell ira même jusqu'à demander à Dodd de lui laver à nouveau le cerveau !), le fait de vouloir retrouver ce qui est perdu et ne reviendra jamais, tout en reconnaissant la fumisterie de la méthode utilisée. Le long-métrage improvise alors, dans des flashbacks troubles et étranges, une histoire d'amour malheureuse et très belle que le temps a brisé. Elle donne alors au film une profondeur insensée, et lui accorde définitivement son véritable propos : The Master est, ni plus ni moins, qu'un voyage. Un voyage au pays des regrets, des vies brisés. Une chose universelle que le cinéaste raconte, sincèrement, sèchement, sans qu'il ne soit non plus dénué d'empathie. Alors, le film, à sa fin, semble une nouvelle fois recommencer, lorsque Freddie, fuyant son maître dans un désert, disparaissant dans un mirage floutée, ira retrouver la jeune femme qu'il eut aimé. La scène est alors magnifique : la vie l'a prise, elle s'est envolée, s'est mariée, et ce n'est pas grave. On voit alors la déception dans le visage de Phoenix, on sent une colère qui se refoule, alors qu'il pourrait la laisser éclater. Anderson aurait pu se passer de la scène de retrouvailles avec "son maître" dans son royaume à la Citizen Kane, une scène donc clé, mais pas tout à fait réussi, un peu ridicule, noyée dans un magnifique final. Freddie Quell qui fuit, tel un loup affamé de liberté, seul être sur terre, sans dieu, ni maître, maître de personne, maître de son destin. Et il se finira dans le nouveau mystère d'une douce chanson. Ce film fragile et souffrant qui rêve de grandeur restera donc encore longtemps obscur mais il faut parfois accepter l'obscurité pour en sonder toutes les beautés. On parle souvent de Paul Thomas Anderson, en bien ou en mal, et il semble curieux que pour ce film là un unique et même terme soit employé à la fois par ses laudateurs et ses détracteurs : celui de la "maîtrise". Curieux phénomène que celui de dénigrer ou d'aduler cette fameuse "maîtrise", souvent recherchée par l'artiste et par son public. The Master serait donc un film génial puisque maîtrisé pour les uns, pour les autres un mauvais film puisque donc trop maîtrisé. J'aurais envie de dire aux uns et aux autres, même si je partage l'opinion de certains quant à la qualité du film, qu'un film "maîtrisé" n'est pas forcément un film réussi, et surtout que The Master ne l'est absolument pas, plutôt, dans une moindre mesure, rêvant de perfection et sachant cela impossible, abandonant vite cette piste pour se concentrer uniquement sur les failles de ses personnages sexués et malades, déséspérés, tourmentés, magnifiques. Ainsi, The Master va, fuit - tout dedans relève de la fuite : fuite des personnages, fuite des rêves, fuite du passé, fuite impossible de l'animosité de l'être, fuite à la fois physique et psychique des personnages - ; glisse, vole et tombe en se cassant les ailes, poème rugueux et sec, vers le monde trouble et bleuté des vies et des rêves brisés, nourries par les douleurs que le passé a dessiné dans notre dos malade. Imparfait et fragile sous ses airs de grandeur lisse, c'est finalement assez immense, et ça va, je pense, longuement continuer à me hanter, comme ces fantômes insoutenables que les regrets font et qui nous tourmentent, le regard de fer, pour la vie entière, jusqu'à la mort. 16/20.  
 
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29 décembre 2012 6 29 /12 /décembre /2012 17:40

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2012 aura été une bonne année ciné, qui aura notamment vu ce blog poursuivre une longue hibernation, interrompu ici, à l'heure de la proclamation des "tops" ciné de l'année - comme ils le sont appelés fort vulgairement.

Las, ce blog à longuement ronflé, serré très fort son coussin, salit les draps du lit, il faut maintenant qu'il se réveille et se bouge un peu le cul. Il est tard pour 2012, 2013 sera donc l'année de la reprise pour le génial rédacteur de ce blog - moi ! - qui n'en a, disons la vérité, pas branlé une.

Au programme, de la nouvelle vague, du cinéma asiatique, du cinéma expérimental, des cinéastes réputés, des films récents, des moins récents, des pas du tout récents, des vieilles bobines pleines de poussière, des daubes, des pépites, du cinéma, quoi !

Comptez ça comme mes bonnes résolutions de l'année 2013.

Le règne du vide à duré beaucoup trop longtemps ici, à tel point que la pub y a même construit un petit nid.

Alors, fort de ce message aussi bouleversant que le discours de Chaplin à la fin du Dictateur - ouh qu'il est intelligent Ptit ciné, il parle de Chaplin, oh là là, quel grand homme, quel culture ! - je proclame officiellement la renaissance de ce blog !

Que dieu vous bénisse, vous et les petits chatons de ma voisine. Amen.

Et bonnes fêtes !


TOP 10 2012 :  

SAMARITAINE

1. Holy Motors, de Leos Carax

Carax revient donc, cette année, avec Holy Motors, son plus beau film, le plus beau film de l'année, l'un des plus beaux films du monde. Il y filme Paris. Il y filme la vie. Il y filme ses souvenirs, ses douleurs, le feu qui brûle en lui, sa colère, son désespoir, sa joie, sa folie, son ironie. Il y filme toutes les œuvres qu'il n'a pu faire, toutes ces œuvres rêvées, disparues au réveil. Il y filme Eva Mendes coiffée d'une burka. Il y filme un pénis en érection, un satyre sortant des égouts, des limousines qui conversent, une chanson d'amour à la Samaritaine, une contorsionniste qui baise, un vieillard mourant, une vieille dame qui mendie, des singes, un masque vert, des lueurs, des ombres, des silhouettes et le cinéma tout entier. On pourrait écrire de longues pages sur cet Holy Motors, qui hantera nos rêves et nos yeux pleins d'étoiles pour encore longtemps : il y a tant de choses à dire ! On pourrait en analyser les moindres recoins, en retrouver chaque référence... Et si on se contentait d'un silence ? Du souvenir de cette scène, la plus belle de l'année, où les amants se retrouvent, s'effleurent et se quittent dans une chanson éphémère ? De cette liberté que scande, crie, hurle le film ? De cette poésie qui effleure chaque plan, pour que le suivant soit encore plus beau ? De cette grâce qui l'habite à tout moment ? De ces pics de lyrisme qui lézardent son squelette ? Glissement étrange vers le monde du rêve et du cinéma, Holy Motors va, intemporel et solitaire, court, ralentit, accélère, nous tend constamment la main, incite au voyage à tout instant. Dedans, les hommes meurent et revivent, le cinéma s’éteint et renaît, laisse l'impression que tout s'y passe, que tout s'y dit : cela s'appelle un chef-d’œuvre.

 

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2. Twixt, de Francis Ford Coppola

Il est définitivement très beau de voir Monsieur Francis Ford Coppola, 73 ans, derrière lui la trilogie sans doute la plus emblématique que le cinéma a fait et une pléiade d'autres monuments, faire ce si grand petit film ci, revenir à ses premiers amours perdus le temps d'un film drôle et étrange, qui ne se prend jamais au sérieux, sur ce qui s'est envolé à jamais. Coppola le peut, et le fait : sans soussous ou presque, il fait de son Twixt ce qui s'appelle une merveille, et s'autorise tout : grotesque, ridicule, premier, second, sixième degrés, décrochages, ruptures de style, de ton, couleurs vives qui explosent, changement d'univers en une dizaine de secondes, d'intrigues et de propos. Twixt ne pourrait être que le délire d'un vieux gâteux à qui le plaisir manque, si la plus belle des questions d'un artiste ne venait s'y poser la, tout près : cette question de la beauté tragique, de la tragédie de la beauté, de ces rêves inquiétants qui scrutent tapis dans l'ombre la silhouette des artistes que la réalité bloque, cette question si belle et si étrangement posée, cette question qui n'a pas finit et ne finira jamais de se poursuivre, de films en films, d'esprits en esprits, de poètes en poètes, de fantômes en fantômes. Twixt, œuvre imparfaite, celle d'un père en deuil doublé de l'artiste qui a peur, à tout d'un objet de cinéma qui ne plaira pas à tout le monde, c'est de là que sort tout sa beauté, son désespoir, son inquiétude polie.

 

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3. Tabou, de Miguel Gomes

Perdu. Tout est perdu. Et pourtant : Aurora l'avait vu en rêve, cette fois ci. Un rêve étrange, qu'elle nous raconte, lunettes de soleil vissées sur les yeux, dans le casino où elle a laissé partir ses sous, face caméra. Perdu. Tout est perdu. Elle a joué. Elle a perdu. Son argent. Son amour venu d'Afrique. Son paradis. D'abord, on hésite. On ne sait pas. On se pose là, entre ces trois personnages, on ne sait rien. On ignore tout. Et pourtant, ces voix, on les entend encore. Et ces visages fermés ne disent, en revanche, rien. Et puis, soudain, tout démarre. Il suffit d'un changement de plan pour suggérer le changement de pays, d'atmosphère, de vie. Un vieil homme raconte, parmi les bruits du blé et des champs africains, ce qui est parti et ne reviendra jamais. Et les voix, soudain, se taisent. Et les visages, soudain, s'ouvrent. Rires. Pleurs. Corps qui se mouvent. Yeux regardant les nuages qui dessinent, dans le ciel, des animaux contournés au crayon.  Et l'on sait, à cet instant, en pleurant tranquillement, que tout cela ne durera pas. Que le présent qu'on a pu voir, au début, existe pour de vrai. Qu'Aurora y sera, bel et bien, perdue, sénile, fatiguée, bientôt morte, séparée de son amant, de son croco, de son pays. Et c'est insoutenable, car on voudrait qu'ils s'aiment, ces deux là, pour toujours, qu'ils s'embrassent, se touchent, se caressent, s'envolent, fuient, courent, loin, encore, ensemble... Tout dans ce film est une question de souvenir, de mémoire, d'oubli inconcevable. Car la vie et le cinéma ne sont qu'une suite de souvenirs. Des souvenirs qui fuient, doucement, sans bruit, à travers la savane d'un paradis perdu, d'un paradis rêvé, comme celui d'Aurora, il y a bien longtemps.

 

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4. L'Odyssée de Pi, de Ang Lee

C'est parce qu'il se pose là, tout près, de nous, des autres, entre la vie et le rêve, le corps et l'esprit, pour nous redire ces choses si belles, ces choses si belles qui viennent de l'enfance, ces choses si belles que l'on sait déjà, et que l'on aime redécouvrir, avec Pi et ce tigre, seuls au bord de la mort, que L'Odyssé de Pi vient se placer curieusement parmi les chefs-d'oeuvre inattendu de l'année. Tout ici, de ces reflets magiques qui noient la mer de ciel à ces suricates nombreux errant dans la nature mortelle, ces baleines qui émergent d'un océan de lumière à ces silhouettes d'animaux qui hurlent au crépuscule, sont là pour ne clamer qu'une chose : Dieu existe, celui du cinéma. Naïf, on nous dira. Sans abandonner les soubassements complexes et torturés de son œuvre, de la naïveté, Ang Lee s'en réclame. Et s'en sert pour nous dire que oui, le cinéma, ça peut être ça, parfois. Ça vit, ça respire, ça file et ça se meure, dans un dernier plan sublime d'une jungle qui enfle. Il y a, dans ce tableau du monde tel que le rêve ceux qui croient, quelque chose d'imparfait. Et c'est sans doute ce que lui accorde, définitivement, sa saveur, sa beauté, sa douleur infinie.

 

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5. Looper, de Rian Johnson

La gosse claque, le film que je n'ai absolument pas vu venir cette l'année : Looper, SF modeste, dépourvue d'esbroufe et d'effet grand-guignolesque, possède quelque chose qui n'appartient qu'à elle, quelque chose de triste, de poignant, qui touche au coeur. Sa froideur, son style soigné, sophistiqué ; son découpage précis, son montage tendu, le visage désillusionné de chacun des personnages qui, dans la quête d'un impossible bonheur ou d'une inaccessible satisfaction, effectueront leur ronde funèbre au mépris des catastrophes qu'ils sèmeront sur le route ; dessinent, ensemble, les rouages trop bien huilés d'une véritable tragédie humaine. Et de voir le temps faire des bonds, former des boucles, tisser des fils interminables qui feront forcément perdre des êtres et gagner d'autres, procure un bouleversement rare : Looper est un OVNI cinématographique brillant et d'une intense douleur, à reconsidérer d'urgence.

 

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6. Amour , de Michael Haneke

"Amour". C'est sur un fond noir qu'apparait, soudainement, sobrement, en lettres blanches, le titre du film. "Amour", donc, "Amour" sans "A mort", sans second degrés, sans ironie. Car Haneke a rendu les armes. Lui, le brutal, le sadique, le professeur frustré tappant sur les doigts de ses élèves, faire un film d'amour ? Il le fait, oui. Et si quelques vieux vices subsistent (la vie se termine et le bonheur se perd), il pointe à la fin du film ce même sentiment qu'enfin, le cinéaste s'incline et reconnait que, malgré la mort qui fait face, il subsiste, quelque part, dans l'art ou le quotidien, une quelconque beauté, quelque chose de propice au bonheur. Et si tout a une fin, et si elle se passe dans la douleur la plus intense, et si la vie est parfois source de souffrance, l'amour est là, l'amour existe, l'amour existe et ne s'arrête jamais. Plus surprenant encore, c'est alors qu'Haneke, puisqu'il n'a plus rien a prouver, s'incline, comme jamais, devant le couple magnifique que forme ses deux acteurs : Trintignant et Riva sont, tout deux, dans cet adieu consenti à la vie, incomparables de retenue, d'intelligence, de sensibilité, de pudeur et d'amour, tout simplement.

 

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7. Take Shelter, de Jeff Nichols  

Mais d'où sort ce film austère et brumeux, où file t-il ainsi ? Il semble pétri des plus intenses douleurs, des plus innommables névroses, sentiments qui se chuchotent ou se taisent, hurlant au plus profond de l'esprit. La douceur de ses protagonistes n'est pas un leurre, mais cache les errances de l'âme et le reflet de leur perte. L'esprit du film, son étrangeté, sa lenteur magnifique, me hante encore. J'aime ce que Nichols fait d'une Amérique en proie à ses névroses, ses peurs les plus profondes, ses démons infernaux. J'aime cette empathie que le cinéaste leur accorde, cette grandeur d'âme que possède chaque être, même le plus perdu des hommes. Le film commence dans un mystère et se finira dans un mystère. Il est long, lent, mais semble aller si vite, si vite qu'il nous échappe, constamment, pour mieux finir pas nous hanter. Il nous perd, nous retrouve, nous relâche, nous reprend, constamment, à chaque instant..  Cela constitue une expérience curieuse, imparfaite, parfois agaçante, mais qui prend aux tripes, remue, bouleverse. C'est un film insaisissable qui est avant tout le notre. Curieux paradoxe...

 

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8. Moonrise Kingdom, de Wes Anderson  

Poétique et torturé, léger et ludique, coloré et sombre : Moonrise Kingdom est un film qui se situe entre deux mondes, deux réalités, toujours à hauteur d'enfant. Tout y semble charmant, joli comme une maison de poupée, et puis soudain, tout se révèle : la mélancolie s'affleure, la tristesse gagne, déborde de ces personnages trop seuls que personne ne comprend. Rien ne semble grave, mais tout se qui s'y joue est l'aventure d'une vie. Alors que les grands, ce flic bêta et solitaire, ce père malheureux, ce chef-scout étrange, ces parents un peu beauf , cherchent désespérément une brèche pouvant les reconduir jusqu'à l'enfance, les gosses fuient, nagent, volent, font des trucs avec leur langue, souhaitent devenir adultes. C'est un jeu du chat et de la souris inversé qu'Anderson filme, avec un plaisir total et un soin rare. Cette miniaturisation du monde et de ses aspirations est un vrai bol d'air frais, évidemment  empoisonné, mais aussi chatoyant qu'un paysage d'été.

 

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9. Oslo, 31 Aout , de Joachim Trier

C'est un film vaporeux, mystérieux, beau et doux sur ce qui s'est envolé à jamais, ces femmes et ces amis disparus, ces erreurs par milliers, ces visages qui manquent, ce train de la vie que l'on a pas su prendre ; et ces regrets insurmontables que cela engrange et qui nous fissurent l'esprit. On aurait beaucoup de chose à dire sur le film, et pourtant il n'est fait que de courtes phrases, de silences, de douleurs qui se chuchotent ou se taisent, de silhouettes buttés qui se retiennent constamment. Ca m'a beaucoup touché. 

 

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10. Killer Joe, de William Friedkin  

D'emblée, Friedkin nous l'annonce : il ne fera pas dans la dentelle. Et sa caméra, il la pose où il veut. Son film transpire le sang, le sexe, le sperme. Avec toujours, cet arrière-gout de crasse, de poussière, de poulet. Matthew McCounaughey y est monstrueux, Juno Temple splendide de névroses et d'innocence troublée. Ils se donnent, dans cette œuvre cynique et jubilatoire qui fait un mal monstre et un bien fou, véritablement corps et âmes. Et prouvent bel et bien que, ouais, Papi Friedkin, du haut de ses 77 piges, en a encore sous le pantalon. Mais aussi dans la tête : la fin imprévisible achève de transformer ce film en une farce absolument...Délicieuse !

 

Voilà, 2012 c'est finit sur Ptit'ciné le blog !

Et, pour arroser ça...

 

Champagne-luxe-5

 

                              CHAMPAGNE !!!
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30 octobre 2012 2 30 /10 /octobre /2012 09:46

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Film dramatique français réalisé par Michael Haneke et sortit en 2012. 2h10. Palme d'Or 2012.

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C'est un film sur la fin de vie qui commence par sa fin. Il s'est ouvert sur un écran noir dans un silence total, un silence de mort, le silence des défunts couchés pour quelques jours sur le lit de la chambre. Et puis, des hommes sont rentrés. Cherchant une preuve de ce silence, ils ont fini par la trouver : la défunte, magnifique, reposant sur un lit les bras repliés sur le ventre, des pétales de fleurs entourant sa tête. Apparition trouble, furtive. Seulement quelques secondes dans le cadre avant que le noir ne s'impose à nouveau, marqué en lettres blanches du simple titre du film :  "Amour", donc, "Amour" sans "A mort", sans second degrés, sans ironie. Car Haneke a rendu les armes. Il a cessé de détester les petites gens. Les gens imparfaits. Les gens bougons, les petits bourgeois qui pourtant s'aiment, et vont mourir, comme les autres. Il a cessé de poursuivre la pitié qu'il a pour le monde, pour la vie. Il n'est plus le petit juge sadique, le professeur tapant sur les doigts des élèves apeurés. Jamais son cinéma n'aura autant levé la tête vers le haut, vers la vie, vers le bonheur, que dans cet "Amour" qui en contient trop, jusqu'à l'asphyxie.  Et si quelques vices subsistent (La vie se termine et le bonheur se perd), cette fois, on comprend. Pourquoi. Comment. Il s'agit en vérité, pour Haneke, de sonder et d'analyser lui-même la perspective émotionnelle et technique de son propre cinéma. La deuxième scène du film en est le témoin le plus flagrant : un plan, un seul, fixant, sans en faire ressortir certains aux dépends d'autres, des hommes et des femmes assis dans une salle. George et Anne y sont, on les voit, car l'on sait ce qu'on est venu voir, qui l'on est venu voir. Mais le plan dure. Et la question d'Haneke s'y pose sans appui : qui le cinéaste veut-il qu'on regarde ? George ? Anne ? ou alors nous laisse-il le temps de remarquer cet homme chevelu qui discute ? Cette femme qui envoie des textos sur son téléphone ? Ce gros type riant gaiement à l'arrière de la salle ? Chaque personnage est, dans le contexte de la scène, spectateur. Spectateur de qui ? De quoi ? De nous ? Lorsque les lumières vont s'éteindre, c'est bien vers nous, les spectateurs véritables,  qu'ils vont se tourner, ensemble. Haneke, en un plan, pose les bases de tout le film et de tout le principe de son cinéma : "Amour" va suivre George et Anne, mais il aurait pu suivre les autres, sans que notre condition de spectateur ne change exactement. C'est cela, en fait, le cinéma du cinéaste : le spectacle voyeur de la vie quotidienne, souvent insoutenable, parfois pudique et plus profond. C'est le cas d'Amour. Et c'est son plus beau film. Son plus humain, son plus habité, son plus profond. Certains regretteront, encore et toujours, cette constante distance qui nous sépare de ses personnages. Mais c'est le but même du cinéaste de filmer l'action du temps et la douleur qu'elle engrange en respectant et conservant la pudeur des êtres, jusque dans ses choix esthétiques et narratifs. Alors, jusqu'au bout, il ne dévie pas, en filmant honnêtement, simplement, les silences, les regards, les mots qui butent, les hurlements incessants comme personne. Les symboles sont nombreux : et si ce robinet qu'Anne arrêtera à la suite de son premier choc était une personnification de la vie, qui s'écoule et disparaît dans le tuyau du lavabo ? Cette façon pour George de fermer chaque porte, une tentative inconsciente de préserver le peu d'amour qui reste  ? Et ce pigeon ? D'abord intrus dans sa première apparition, puis autre lourd symbole de l'amour manquant dans la seconde... Tout ceci est le fruit de la plus intense pudeur : Haneke fait dire par sa mise en scène ce qu'un autre exprimerait par des larmes et des phrases désespérés. Et il pointe à la fin du film ce même sentiment qu'enfin, le cinéaste s'incline et reconnait que, malgré la mort qui fait face, il subsiste, quelque part, dans l'art ou le quotidien, une quelconque beauté, quelque chose de propice au bonheur.  Et si tout a une fin, et si elle se passe dans la douleur la plus intense, et si la vie est parfois source de souffrance, l'amour est là, l'amour existe, l'amour existe et ne s'arrête jamais : c'est avec la vision amoureuse de sa femme que George,  celui qui ne pouvait plus que la toucher qu'en la levant de son fauteuil, quittera l'appartement, après avoir exaucé la promesse de leur vie, le laissant dans le silence de mort qu'on avait entraperçu au début. Et le film se terminera  de  la plus belle des manière : Eva, leur fille, elle qui ne réussira pas à comprendre, à trouver une véritable preuve de l'amour de ses parents, se cachant incessamment lors de ses visites dans les chiffres de ses finances complexes, le comprendra enfin dans le plan final, grâce à l'absence du couple et du vide abyssal qu'ils laisseront. Encore une fois, il ne suffira que d'un regard dans le vague et de quelques secondes. Huppert est bouleversante dans ce rôle de fille impuissante face à la lente fatalité de l'existence. Et, comme le cinéaste avec elle, elle s'incline, et c'est magnifique, face au couple magnifique que forment  Trintignant et Riva, exceptionnels de bout en bout. Posant chaque phrase, chaque mot, chaque syllabe avec une minutie incroyable sans que cela n'en soit de trop. Exécutant chaque geste de manière à la fois laborieuse et gracieuse. Il ne suffit alors que d'un regard, d'une parole, d'un mot, un seul, pour que se devoile à nos yeux pétris de larmes toute la contradiction, la complexité de ces nouveaux rapports, le remord, la peur et le souvenir d'enfance. Ils sont, dans cet adieu consenti à la vie, incomparables de retenue, d'intelligence, de sensibilité, de pudeur et d'amour, tout simplement.

Mise en scène : 5/5

Interprétation : 5/5

Scénario : 4/5

Travail artistique : 4/5

Total : 18/20


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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 17:42

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Film d'animation français réalisé par Patrice Leconte sortit en 2012.1h20

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C'est sur la voix de Trenet chantonnant Y'a d'la joie que le film commence. Et c'est dès cet instant très drôle. Suit une plongée vertigineuse dans la ville glauque où se déroule l'action. On y voit les regards vides des passants et leur visage figé. On y sent la mauvaise odeur du désespoir traversant l'épais filé de pollution. Les voitures enfermées dans la prison des embouteillages, et les piétons qui attendent que  le feu  devienne rouge pour traverser...Et trépasser. Puis entre très vite le tout premier personnage : un petit pigeon grisouille et plein de cernes. Silencieux. Triste. Perturbé dans son vol par les cadavres qui tombent, les bruits incessants des voitures qui klaxonnent, et des revolvers qui tirent. Le film est à peine entamé que la question, déjà, se pose : si même les pigeons ne roucoulent plus la vie, se laissent mourir désespérément du haut des lampadaires éteints ; alors, que faire ?
La réponse ne tarde pas : tout ténèbres possèdent leur petite lueur, caché dans un coin sombre de notre champs de vision, et cette lueur, pour nos prochains regrettés, c'est le Magasin des Suicides, entreprise familiale, marchant du tonnerre, vendant tout les jours plus de milles produits, tous plus inventifs et innovants les uns les autres. Car  le but de la boutique est claire : chez le magasin des suicides, on est mort ou remboursé. Elle est tenue par Mishima, charismatique vendeur dont le produit préféré est le "Seppuku", vulgairement appelé par les contemporains "Hara-Kiri", une épée tranchante qui vous pénètre comme dans du beurre ; sa femme Lucrèce qui s'occupe de la caisse, et leurs gosses : Vincent et Marylin, comme Van Gogh et Monroe (Deux suicidés célèbres), chargés de suivre les clients jusqu'à la fin de leur chemin, pour voir si au cas où, un produit ne fonctionnerait pas. On a oublié personne ? Si. Alan. Le cadet et la honte de la famille : la joie de vivre incarnée. La voix douce, le teint éclairé par les rares lueurs de l'optimisme banni. Il n'a qu'un seul objectif : faire ressurgir la vie dans ce monde quasi-mort.
Le pitch est énorme. Il est signé Teulé, dont le génial livre du même nom avait le goût des plus beaux délices amers. Si la friandise passé sous pellicule conserve moins bien son éclat intensément noir, il émerge, de ce petit magasin devenu film, de savoureux gags visuels que seul l'animation permet. Tant pis si le cinéaste semble avoir oublié les plus beaux gags du bouquin d'origine (Où est l'hilarante et touchante séquence du Death Kiss ?! La pomme d'Alan Turing ?), de même que sa sombre poésie du désespoir, car les graphismes inspirés sont à tomber, et c'est bien là la définition de l'adaptation livre/film : passer le seuil de l'image tout en faisant travailler encore (et même plus ?) l'imagination du spectateur. De ce côté là, le pari est gagné : la pollution, les clairs obscurs au feutre noir,  les visages minés des clients du magasin, et en guise de point d'orgue soulignant le proverbe "Minuit, l'heure du suicide", qu'on ne vous racontera pas ; tout est esthétiquement magnifique.
Le reste est plaisant, mais plus discutable. Le roman, sous ses airs de farce impertinente, se révélait être une bien plus profonde réflexion sur le mal-être des gens, la solitude de l'adolescence, le désespoir. Le long-métrage, de son côté, ne garde que les deux trois lignes du postulat de départ, en transforme la fin, et rajoute de nombreuses  chansons plus ou moins réussies, mais  souvent répétitives. Le fond est donc quasiment absent, et certains regretteront sans doute l'apparente superficialité des personnages et le côté lisse de l'intrigue, mince, s'il en est. Mais si Leconte utilise ce principe d'épuration narrative et émotionnelle, ce n'est pas, comme on pourrait le croire, pour se rapprocher à tout prix d'un côté cartoon, axé sur les capacités physiques et uniquement cela des personnages, mais pour faciliter l'immersion dans ce qui se veut être ni plus ni moins, qu'un conte. Simple, mais pas facile : certains confondent. Et modeste. Ou la légèreté se noie dans le cynisme, à la finalité bien-pensante, mais savoureuse, car assumée. Voilà. Pas d'autres prétentions pour ce magasin là. Si ce n'est que célébrer la beauté de la vie entre les images magnifiques de cette constante fête des morts. C'est tout, rien de plus, et c'est déjà pas mal. 12/20.

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6 juillet 2012 5 06 /07 /juillet /2012 15:37

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Film dramatique français réalisé par Leos Carax, sortit en 2012. 2 heures.

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Le crépuscule. Des bruits. Des mouvances. Des ombres toutes d'épures léchant les murs de brique. Des tombes alignés, des inscriptions étranges. Une silhouette, courant sur les pavés, les pavés de Paris. Pieds nus. Tête de monstre, où se lie à la fois, obscurité et lumière. La laideur du visage et la beauté, la beauté du geste. Sa liberté. Ses mouvements irréguliers, ses galipettes de clown, ses yeux bizarres, son goût pour les billets et les doigts des mondains. On vous présente Merde, mÔsieur Merde, pour être poli. Il est l'homme que l'on croit à tout pris de pas vouloir être, ou ne pas croiser, un jour, en allant voir Mamie, sortant d'un égout glauque. Il est un trait de peinture verte sur une toile vierge que l'on ne voudrait pas salir. Il est l'être qui se permet de se dévoiler nu à Eva Mendes, l'engin dressé, de se coucher sur elle, de se faire bercer. Il est le gosse hérétique des films d'horreur ricains. Il est la créature grotesque d'un Fellini mineur. Il est un mur de chair ou Carax recrache, ses fantasmes délirants, ses fantasmes de pécheur. Il est un geste d'artiste, libre, inépuisable, inssaisisable. Il est le troisième des neuf que nous découvrirons, au long du film, au long de la Seine, des couloirs de souvenirs dans la Samaritaine. Il est le spectre de nos cauchemars angoissants, le squelette de nos rêves absurdes. Ces rêves qui nous habitent, nous possèdent, nous émerveillent, nous angoissent et s'en vont. On a dit de Carax qu'il était égoïste. Mais comment un égoïste serait-il capable d'offir au public tant de nos rêves perdus et oubliés comme il le fait ici ? Et comment un égoïste ferait-il l'effort de les sublimer encore, à la fin de chaque scène, de chaque plan, alors qu'ils sont déjà bien beaux ? Il n'y a que Carax pour les choper en plein vol, ces rêves, ces papillons éphèmères mourant au matin. Carax, ici, nous sert sans rien attendre en retour, l'air modeste, lunaire, attaché à la vie, sans la comprendre. La vie. Celle que l'on joue, tel des acteurs de chaque jour, et celle que l'on quitte, comme les commédiens des personnages, quand l'écran devient noir. La vie. Celle qui porte en son sein des fous, des banquiers, des mendiants, des singes, des voitures, des pensées, des mots, des phrases, des pleurs, des lueurs, des yeux. Ceux d'où semble sortir la beauté, comme le dit dans une scène, un homme tâché de vin autour de l'oeil. La vie. Celle qui avec les années, s'affaiblit et s'effondre, près d'une lampe de chevet, dans une flaque de regrets. Holy Motors est donc un film sur la vie. Il ne raconte que ça. Jamais nous la montrer, mais nous la faire ressentir, telle est la devise de Carax, à travers des tableaux tous différents, des rendez vous avec les autres, que chacun peut comprendre. C'est un film qui se nourrit de notre monde. C'est un film crépusculaire qui renaît constemment de ces cendres. Qui se gorge de lui-même, se gorge de lumière, et tout ça pour le public, à qui Carax pardonne tout, même l'impardonnable. S'endormir devant un film, par exemple, le sien ou un autre, qu'importe...Et il pardonne surtout à ce qu'on fit du cinéma : d'un miroir de loge d'artiste reflétant l'existence, à une machine invisible se broyant elle-même ; sans oublier de se redonner espoir, de nous redonner espoir : le cinéma est fatigué, oui, mais il existe, et peut encore faire vibrer : suffit d'une rencontre, d'une musique, d'une courte chanson d'amour, entre deux anciens acteurs mélancoliques, errant dans un Paris rêvé. Voila ce que nous dit Holy Motors. Voila à quel point il est nécessaire à ce monde du septème art qu'il ne faut surtout pas perdre, lui-même nécessaire à notre vie. Un chef-d'oeuvre, oui, c'est cela, Holy Motors : un chef-d'oeuvre. Un chef-d'oeuvre intemporel et solitaire qui hantera nos rêves et nos yeux pleins d'étoiles pour encore longtemps. C'est le plus beau film de l'année. C'est l'un des plus beaux films du monde. Et c'est ce film qui nous servira à expliquer le cinéma aux enfants nés après sa mort. Ce film là. Pas un autre.

 

Mise en scène : 5/5

Travail artistique : 5/5

Interprétation : 5/5

Scénario : 5/5

Total : 20/20

 

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24 mars 2012 6 24 /03 /mars /2012 09:18

CUICUI

Thriller américain réalisé par  Alfred Hitchcock et sortit en 1963. 2 heures.

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D’abord, tout est calme. Le ciel est gris. Laiteux. Trouble. Baigné d’une lumière blanchâtre qui filtre les nuages. L’eau du lac est paisible, claire, bleue. Le vent souffle, doucement. Les girouettes tournent. Les volets se tapent contre les fenêtres des maisons. Les branches des  arbres s’agitent. Des enfants jouent dehors. Une silhouette, soudainement, déchire le ciel. Sombre et rapide. Brisant l’écran, attisant les regards, l’inquiétude. Le vent souffle, doucement. Le lac est paisible. Les girouettes tournent. Les volets se tapent contre les fenêtres des maisons. Le ciel est gris. Laiteux. Trouble, baigné de silhouettes noires et ailées. Deux s’en rajoutent. Tout est calme. Les girouettes tournent. Le vent souffle, doucement. Les volets se tapent contre les fenêtres des maisons. L’eau du lac est paisible. Le ciel est gris. Laiteux. D’autres surviennent, perturbant le paysage. Tout est calme. Des enfants jouent dehors. L’eau du lac est paisible. Les volets se tapent contre les fenêtres des  maisons. Les silhouettes noires et ailées surplombent les regards terrifiés des passants. Le ciel est gris. Le lac est bleu. Sombre. Clair. Puis, panique. Générale. Rien n’est calme. Angoisse. Laiteux. Le ciel. Le lac. Les maisons. Les girouettes. Les volets. Claire. Sombre. Oiseaux. Fenêtres. Rapide. Le vent souffle. Hurlements. Cris. Croassements. Rien n’est calme. Rien. Des milliers. Des millions. Perchés sur les poteaux. Coups de griffes. Becs pointés vers le ciel. Laiteux. Vers nos têtes. Frêles. Frêles et apeurées. Terrorisées. Nos visages perdus dans la mer d’ailes noires, de corbeaux agressifs découpés dans l’image paisible de la baie. La mer vaste de charognes immondes, à l’affût des corps qui dansent entre les cadavres noyés. Puis…Tout est calme. Le ciel est gris. Laiteux. Trouble. Mais les Oiseaux reviennent. Attaquent. Violemment, sans pitié : brisent les glaces et les crânes. Puis….Tout est calme. Les girouettes tournent. Les enfants jouent. Le ciel est gris. Une voiture démarre. Les volatiles  l’observent. Perché de partout : sur le sol, en l’air, sur les toits de maisons. La voiture roule, lentement. Son conducteur transpire, fixe les environs. Ils n’attaquent pas. Soudain, un croassement. Puis, deux. Puis, trois. Puis, noir. Puis, fin. Fin. Fin du  cauchemar ? Fin de tout ? Peut-être. Peut-être… Ou une autre rupture inattendue ? Le récit en est ponctué ; des moments de tensions et d’effrois contrebalancent les longueurs et les étirements de scènes qui ne disent rien. Parce qu’il  n’y a rien à dire. Parce que la peur domine, et qu’on ne sait quoi dire ; et que les questions fusent, que de toute manière, elles resteront, à jamais, sans réponse. Alors, au lieu de penser, on agit. On se barricade. On s’enferme dans les maisons. On s’assoit en sanglotant. On scrute les endroits ouverts sur le dehors. Et on attend. Hitchcock n’explique rien de tout cela. Hitchcock s’en fout un peu, d’ailleurs, de tout cela. Car Hitchcock est cruel, terriblement cruel, et que son film, c’est comme dans un échec : faut faire tomber les pions. Un par un. Et que, de la règle – le scénario, aussi ficelé soit-il – ; pour une fois, on s’en contre-fiche. Et que, pour gagner, faut choisir la bonne tactique, le bon angle, le bon plan. Les Oiseaux, ici, sont inoffensifs. Pas la mise en scène, loin de là. Parfois calme et posée, parfois redoutablement vertigineuse. Dévorant les personnages. Les paysages. Le ciel, gris. Laiteux. Trouble. Baigné d’une lumière blanchâtre qui filtre les nuages. Le lac, paisible, clair, bleu. Les girouettes, qui tournent. Les volets, qui se tapent contre les fenêtres des maisons. Les branches des arbres qui s’agitent. Les enfants qui jouent dehors. Et qui scrutent la menace, sans cesse, le visage triste. Ce film, croyez-en, fait peur. Asphyxiant. Redoutable. C’est un joyau de pure cruauté. C’est un jeu de massacre aussi amusant que cruellement terrifiant. Un vol d’oiseaux qui mange l’écran. Un rêve de cinéphile doublé d’un horrible cauchemar. Un croassement étrange, insolite, dans le monde du cinéma.

 

Mise en scène : 5/5

Interprétation : 4/5

Travail artistique : 5/5

Scénario : 5/5

Total des points : 19/20

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8 janvier 2012 7 08 /01 /janvier /2012 14:35

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Thriller dramatique américain réalisé par Nicolas Winding Refn est sortit en 2011.

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Des yeux bleu acier fixent, sur un balcon, une ville endormie. Ses gratte-ciels carrés où des lumières jaillissent encore. Ses voitures de toutes couleurs roulant, en bas, sur les routes. Il a une veste d'un gris flashy. Un scorpion jaune se baladant sur le dos. Une voix monocorde, agaçante, qui se déroule sans nuance. Un visage obscur filmé dans d'improbables angles. Il cause peu, voir jamais. Pour ne pas parler pour ne rien dire. Ou pour ne pas en dire trop. On ne sait pas d'où il vient. Nul ne sait qui il est. Il ne se bat pas. Ne tue pas... Il conduit. Il a un téléphone entre les doigts. Et des mains un peu sales, mais pas encore trop crasseuses. Ses battements de coeur, pulsations discrètes, se font entendre. Et deviennent, soudain, musique, morceau étrange, entraînant. Plan suivant : un moteur hurle. Une voiture roule, doucement. A l'arrière, deux types masqués regardent dehors, inquiets. Le conducteur, devant, est étrangement serein, calme. Il a les mains posées sur le volant. Des yeux bleus acier fixant, cette fois, le par brise. Ecoutant tranquillement, à la radio, un match de basket. Puis, la voiture accélère. Dehors, il fait encore nuit. Le match continue. La voiture roule plus vite. Le match se poursuit. La voiture roule à fond, sème ses poursuivants, le moteur hurlant plus fort....Et le match se termine, délivrant des cris de joie. Des acclamations. Des bruits quelconques. Là, le générique démarre, des fines lettres rose bonbon s'inscrivent - pour contraster avec la virilité du héros -, éclairant la pénombre. Et se noient aux lumières claires qui persistent encore. Et ce, toute la nuit. Soleil sous l'horizon, obscurité inquiétante, lueurs vacillante : Los Angeles dort. Et c'est beau. Désespérément. Refn sait filmer la ville. La sienne est touffue, truffée de personnages abjects, luxuriante comme la jungle, hanté comme un vieux et grand cimetière. Il la peuple de mafieux ignobles, d'un héros au regard de fer, vide. Il conte des histoires inintéressantes et vaines, mais leur accorde toute l'immense beauté de l'art. Son oeuvre est un véritable film fantôme, désincarné dans le plus beau sens du terme, lisse et sans fond, à l'image effrayante des personnages : plus des hommes, mais de véritables spectres froids gangrenés de l'intérieur, qui se feront tomber les uns les autres. Drive est d'une beauté qui sidère, d'une noirceur concentrée, d'une violence menaçante qui n'explose que rarement, laissant naître en son absence des moments de contemplation superbes, où tout se joue dans les images, dans les silences, les visages qui se ferment, les hommes qui tombent, la mort qui danse. Plaçant l'action de son film dans un monde entièrement clos sur lui-même, comme si derrière la caméra, il n'y aurait plus rien, Refn à l'intelligence de laisser travailler l'imagination du spectateur : son héros, d'où vient t-il ? Que veut-il ? Refn s'en moque un peu. Son nom ? Ses intentions ? Son avis sur ce qu'il lui arrive, alors ? La belle affaire...L'important, c'est le corps, ce qu'il endure, ce qu'il reçoit, ce qu'il rejette. Drive sonne comme la musique du vacillement des corps, et c'est magnifique. Si le scénario n'a rien de spécial, la mise en scène possède une force sûre. Une  originalité qui fait indéniablement passer Refn du côté des grands. Son oeuvre est un plaisir de cinéma aux protagonistes désincarnés, comme fut ceux du sublime Barry Lyndon d'un certain Kubrick, stylisé et fermé sur le monde, puisque possédant son propre univers. Semblant soudain très court, le film semble toujours fuir comme le temps : à toute vitesse. Rapide, brut, même dans ces plus calmes moments de contemplation, et ce jusqu'à la dernière, toute dernière seconde. Drive - et c'est cela qui lui accorde, sans doute, sa flagrante beauté artistique - est un étonnant rêve éphémère.

Mise en scène : 5/5

Interprétation : 4/5

Travail artisitque : 5/5

Scénario :  2/5

Total des points : 16/20

 

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Genre : Petit blog avec prétention

 

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Fondateur : Le plus beau, le plus intelligent, le plus pertinent, le plus cinéphile, le plus au-dessus de la basse populace...Ptit Ciné !


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4. Les enfants du paradis (Marcel Carné)

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7. La Nuit du Chasseur (Charles Laughton)

8. Holy Motors (Leos Carax)

9. Ed Wood (Tim Burton)

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15. M le Maudit (Fritz Lang)

16. Cris et chuchotements (Ingmar Bergman)

17. Fenêtre sur cours (Alfred Hitchcock)

18. Shining (Stanley Kubrick)

19. Elephant Man (David Lynch)

20. Toy Story 3 (Lee Unkrich)

 

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